CONCOURS DE CIRCONSTANCES
Mercredi soir.
Embouteillages d’idées dans ma tête. L’avenir. L’argent. L’amour. Téléscopages
de mots en A. Embouteillage des non-vacanciers autour de moi sur la rocade. Mon
portable me fait un clin d’œil. WonderMarie : « Ola à tous, j’ai une
place dispo pour aller voir Don Quichotte demain soir au grand théâtre à 20
heures à la générale. Le premier à répondre à ce sms aura la grande chance de
m’accompagner ». Merci les embouteillages en trente secondes j’ai répondu
« Moi ». Une heure plus tard : « Standard saturé, arrétez
les sms, et les appels, La grande gagnante est …Sylvie la méli-lélo, merci à
tous de votre participation, pas de lot de consolation pour les autres, bizz à
tous ». Envolées les idées noires, envolés les embouteillages dans ma
tête, envolée l’envie de caverner. Demain je vais à l’opéra. Je reprendrai les
soucis plus tard, pour l’instant je pose les valises de grisaille et je rêve.
De toutes façons ils m’attendront et sauront me rattraper en temps voulu.
Jeudi soir. 19 heures.
TDC1 qui n’est pas partie en Bretagne avec son père et a préféré rester à
Bordeaux seule avec sa m’manmôm m’attends de pied ferme. Elle a passé l’aprèm à
ranger les placards de la maison. C’est une hyper manique de l’ordre et du
rangement et avec sa môm’ elle a un boulot monstre. Elle a classé mes pulls,
mes robes, mes pantalons, mes tee-shirts, mes pagnes… Sur mon lit elle a posé
ma belle robe cop’copine noire et rouge. « On ne va pas à l’opéra en jean,
m’man !!! » J’ai beau lui dire que c’est plouc de s’habiller pour une
générale elle n’en démord pas. Je trouve ça attendrissant alors je passe la
robe. Mais quand je veux mettre mes chaussures plates rouges, elles ont
disparu. TDC1 me présente mes sandales noires à hauts talons, celles qui sont
faites pour jouer les belles de nuit, mais sûrement pas pour marcher. Maman-Cendrillon
part donc à l’opéra, habillée par sa fée-TDC1, en espérant ne pas avoir l’air
trop endimanchée. Bien sûr, les embouteillages, bien sûr, les minutes qui
filent, bien sûr, les places autour du grand Théâtre toutes prises, et bien
sûr, le parking souterrain pour finir. Alors Maman-Cendrillon court avec ses
godasses trop hautes sur le pavé de la rue Saint-Rémi, se tord les chevilles,
perd son étole, transpire, pendant que WonderMarie, la harcèle de sms, pour lui
dire que si elle n’accélère pas elle va rater Don Quichotte. Ouf les marches du
Palais sont enfin à sa portée, le dernier appel de la clochette sonne pour
inviter les derniers spectateurs à se grouiller les fesses. Il nous faut monter
jusqu’au paradis pour trouver nos places. J’aime cette idée. A l’époque de la
tribu(pour ceux qui suivent) notre devise était : « Le paradis ou
rien ». Ce soir ce sera le Paradis pour WonderMa et seules
rescapées de la tribu éclatée. Les danseurs apparaissent, l’orchestre donne le
ton de la soirée, hispanisante bien sur. J’ai toujours été fascinée par la
danse classique. Emue aux larmes souvent. Un flot de souvenirs me revient. Marie me montre dans le corps de ballet,
Coco, la copine d’un copain, qui a filé les places. En même temps que je
m’emplis de la musique et des couleurs du spectacle, je pense au passé. J’ai
été une petite danseuse. Peu de classique. Mais surtout durant une dizaine
d’années, j’ai navigué dans une troupe entre le modern jazz et les claquettes,
et le folklore aussi. J’aimais la pression du moment où l’on arrive sur la
scène le cœur serré de trac, et où tout à coup on fait partie du spectacle.
C’était une émotion que j’aimais. Il est vrai que j’ai plus souvent vu les
salles de spectacle depuis la scène que depuis les fauteuils quand j’étais plus
jeune. Je retrouve d’ailleurs ce plaisir avec le chant. Il y avait longtemps
que je n’avais eu ce bonheur de voir de la danse classique. Marie m’a fait là
un si beau cadeau. Je ne fixe pas forcément mon attention sur les premiers
danseurs car je sais que tout le monde les regarde. Je regarde plutôt les
autres, dans le ballet, car je sais qu’eux aussi ont travaillé, qu’eux aussi
ont le trac, et qu’eux aussi font la beauté du spectacle. Mon esprit s’évade
parfois, vers mon enfance. Je pense à ce jour où notre école de danse avait
invité des danseurs de Roland Petit, et ou j’ai vu Denis Ganyo, danser Meddle
des Pink Floyd. Les larmes coulaient sur mes joues, quand Mireille Bourgeois la
danseuse, est entrée sur scène, si frêle, si blanche. J’aurais aimé être à sa place. Puis l’année
suivante ce furent Noella Pontois et Mickael Denard, et là je n’ai pas été
émue, tant lui était exécrable et prétentieux. Plein d’exigences et de caprices
à la con. Les deux premiers avaient mangé avec nous, dansé avec nous, parlé
avec nous, les deux suivants ne nous avaient pas regardés, et étaient restés
enfermés dans leurs loges. Quand la petite fille était venue offrir les fleurs
à la fin du spectacle, Mickael Denard ne lui avait même pas souri.
En regardant Don
quichotte et ses danseurs, je pensais à cette petite fille si timide d’une
dizaine d’années, qui était la meilleure danseuse de l’école. Elle était partie
à Paris à l’opéra avec les petits rats, mais trop loin de sa famille elle était
vite revenue à Bordeaux quelques temps plus tard. Où est-elle
aujourd’hui ? Corine….Corine… tiens je ne sais plus son nom. Ce soir, des
années plus tard l’émotion me revient de cette envie d’être sur la scène. Mais
là je suis si heureuse dans le fauteuil du paradis. WonderMa est un peu confuse
car elle croyait m’avoir offert une place pour écouter un opéra. Elle ne sait
pas à quel point la danse me fait AUSSI plaisir.
A l’entracte je jette un
œil sur le programme, je lis les noms de tous les danseurs, quand mon œil se
pose sur une certaine Corine L. du corps de ballet. Je demande à WM si c’est
elle qui a offert les places. C’est elle. Ben voilà le nom de la petite fille
qui a offert le bouquet il y a 30 ans… c’est celui-là. Hasards et
coïncidences. J’ai regardé les deux
autres actes encore plus émue que pour le premier,et je revoyais sans cesse
cette petite fille qui était « l’étoile » de notre école de danse, timide
étoile, tremblante étoile seule sur scène à 10 ans. Aujourd’hui la voilà
souriante, sûre des ses gestes, danseuse. J’aime ce genre d’histoire, quand la
vie ressemble a un fil, qui croise d’autres fils, s’en éloigne et le retrouve
par le plus grand des hasards.